Les pompes intrathécales dans les douleurs neuropathiques du cancer

Cette fiche a été créée suite à l'intervention d'Anne BALOSSIER au congrès de la SFETD dans la douleur du cancer.

Douleur et cancer

Incidence :

  • En France, 300 000 à 400  000 patients par an
  • Dans le monde 20 millions de nouveaux cas par an

40 à 50% des patients présentent des douleurs au moment du diagnostic. 

75% sont en phase terminale dont 10 à 20% ont des douleurs sévères réfractaires.

D'après les données de la fac en 2024, sur la conférence du consensus sur les pompes, ils considèrent que 50% des patients présentant un cancer sont sous traités pour leur douleur cancéreuse.

En Belgique, en 2023, il y a eu 3 000 demandes d’euthanasies dont 60% étaient des cancers et 72% de patients avec des douleurs réfractaires.

Limiter les séquelles et améliorer la qualité de vie fait partie des objectifs de la stratégie décennale de lutte contre le cancer 2021-2030.

Douleur neuropathique et cancer

Les douleurs neuropathiques dans le cancer représentent 20 à 30% des patients, donnée sûrement sous-évaluée car la distinction entre douleur mixte et neuropathiques est complexe. Il est nécessaire de dépister ces douleurs neuropathiques. 

Les douleurs neuropathiques dues au cancer ont de multiples causes (liées au atteintes métastatique, paranéoplasiques, métaboliques ou carentielles et terminales) et différents types d’atteintes comme montré sur les schémas.

Neuropathies cancer

Sans oublier toutes les douleurs neuropathiques iatrogènes dues aux traitements (chimiothérapies, thérapies ciblées, chirurgie) qui sont encore mal connues et mal évaluées.

Neuropathies cancer 2

Une étude menée par Dupoiron et al publiée en 2022 montre les résultats suivants :

  • 42% des patients interrogés disent avoir en moyenne des douleurs modérées et 32% des douleurs sévères quotidiennement.
  • 60% des patients interrogés disent avoir eu des douleurs sévères lors de leur dernière crise douloureuse
  • 84% des patients interrogés disent avoir eu des douleurs sévères lors de leur pire crise douloureuse.

Règles de l’OMS

Selon les règles de l’OMS, on trouve 3 paliers de médicaments, qui ne sont plus très utiles en cliniques. Il n’y a aucune recommandation sur les douleurs neuropathiques. Les opioïdes en première ligne et les traitements interventionnels sont en 4ème palier ce qui est dommage.

Douleurs réfractaires

On parle de douleurs réfractaires quand :

  • Les douleurs résistent après un traitement bien conduit
  • Notion de respect de l'échelle
  • Prise en charge avec une rotation des opioïdes 
  • Pour discuter de techniques invasives, les médecins se basent sur un équivalent de 300 mg oral de morphiniques par jour

Les patients peuvent avoir des effets indésirables importants tels que la somnolence, une constipation, des nausées… C’est à ce moment-là que les techniques dites invasives vont être envisagées dont l’intrathécale.

Analgésie intrathécale

Depuis les années 1850, les anesthésistes utilisaient l'analgésie intrathécale avec de l'éther et de la cocaïne. Puis, il y a l’identification des récepteurs morphiniques chez l’animal et ensuite chez l’humain. La première utilisation des pompes intrathécales date de 1988.

L’analgésie intrathécale consiste à aller mettre un cathéter tunnélisé soit dans le site soit relié à une pompe, le tout réalisé sous anesthésie locale ou générale. Les avantages de cette technique sont une action plus diffuse et des doses plus faibles.

La durée d'utilisation de la pompe dépend de l'espérance de vie du patient. De plus, les patients soulagés, reprennent du poids, supportent mieux leur traitement, engendrant ainsi la prolongation de leur espérance de vie.

En 2020, l’HAS recommande l’utilisation de l’analgésie intrathécale en cas de douleurs rebelles chez des patients en soin palliatif où le syndrome douloureux n’est pas contrôlé par une dose de morphinique de 300mg per os ou chez les patients ayant des effets indésirables graves avec un accord d’experts. Il s’agit d’une prise en charge médicamenteuse en situation palliative jusqu’en fin de vie.

Dans le cas de certains cancers, dont les cancers pelviens, du pancréas et du syndrome de Pancoast-Tobias, l’analgésie intrathécale doit être envisagée précocement dans l’optique d'améliorer la qualité de vie des patients. 

Les dernières recommandations mondiales de 2024 font état que 80% des patients présentant des douleurs sévères du cancer pourraient bénéficier de cette technique.

Les pompes intrathécales sont utilisées en association d’autres médicaments. Pourquoi une association ?

Il s'agit de patients cancéreux, ou non, en échec thérapeutique. 

En cancérologie, le temps est compté, il y a nécessité d'efficacité au plus vite. Or, la monothérapie opioïde a des limites et d'autres médicaments qui agissent sur d'autres molécules sont disponibles, on arrive donc sur un concept de polyanalgésie, pour agir sur différents récepteurs et différentes modalités.

Modulation médullaire du message nociceptif

On peut agir sur les récepteurs pré synaptiques :

  • Morphinique : μ et ?
  • α2 adrénergique : Clonidine
  • GABA : Midazolam
  • GABA ᵦ : Baclofène
  • Canaux calciques : Ziconotide

Les récepteurs post synaptiques :

  • α2 adrénergique : Clonidine
  • GABA α : Midazolam
  • Morphinique : μ et ẟ
  • NMDA : Kétamine
  • Canaux sodiques : Anesthésie locaux

Qu'est ce qu'il y a dans une pompe intrathécale ?

Morphine

Classiquement on va mettre de la morphine.

Cela permet d'avoir une action directe au niveau spinal :

  • Action présynaptique sur les fibres ad et c, 
  • Inhibition de l'ouverture de canaux calciques voltage dépendant

Arrêt de la libération pré synaptique des neurotransmetteurs :

  • Blocage de l’excitation du glutamate
  • Diminution de la sécrétion de substances P et CGRP au niveau des fibres amyéliniques afférentes
  • Extension d'action sur plusieurs métamères par le biais des fibres C

Action post synaptique :

  • Dépression de l'activité des interneurones des couches I et V

Rôle de la morphine dans l'évolution du cancer

Des études ont montré qu'il y aurait un rapport entre la voie morphinique et la progression tumorale, et donc la survie du patient.

Anesthésiques locaux

Ils ont une action sur le blocage des canaux sodiques,

  • Agissent sur les douleurs nociceptives et neuropathiques
  • Action synergique avec les morphiniques 
    • Du pen 92 (1) : Péridural 61 patients
    • Van Dongen (2) : Intrathecal 17 patients
  • Nombreux d'études cliniques 
  • Action rapide :
    • Péridurale : environ 15min
    • Intrathécale : environ 3min
  • Stabilité des préparations 
    • Supérieure à 40 jours.

En France on a deux molécules : Ropivacaïne et Bupivacaïne.

Avec la Ropivacaïne il y a des problèmes de concentrations.

L'intervalle de remplissage est multiplié par 2 ou 3 avec la bupivacaïne concentrée. 

Pas de perte d'efficacité avec la bupivacaïne.

Bupivacaïne en France

  • ATU depuis juillet 2020
  • Est recommandée l'utilisation pour les doses élevées intrathécales. 

Une hospitalisation est recommandée pour faire le changement ropivacaïne en bupivacaïne avec un monitoring respiratoire, neuro et pression artérielle et un suivi jusqu'au deuxième remplissage.

Le ratio naropeine/bupivacaine est entre 0,68 et 0,65.

Ziconotide

  • Médicament orphelin
  • Bloqueur des canaux calciques
  • Mécanismes d'action indépendants de la morphine 
  • Régulation du glutamate
  • Pas dépresseur respiratoire
  • Pas de tachyphylaxie
  • Pharmacocinétique : demi vie 4h30 et pic de perfusion 5h
  • Pas de toxicité à long terme connue

Le problème est le coût de cette molécule.

Lors des premières études sur ce médicament, il était rapporté des complications neuropsy assez conséquentes. C'était lié au fait qu'ils commençaient par des doses élevées qu'ils augmentaient fortement. 

Actuellement, la dose initiale est 0,5 ug/j avec une augmentation progressive de 0,25 à 0,5µg tous les 48h, réglant ce problème de tolérance.

Des études chez l'animal ont montré que l'association morphine ziconotide est plus efficace que l'utilisation de la morphine ou du ziconotide seul. 

Ces effets sont retrouvés chez l'homme, avec un meilleur soulagement lors de l'association des 2 molécules.

Clonidine

  • Action sur les récepteurs alpha 2 présynaptiques. 
  • Libération modérée de noradrénaline 
  • Action inhibitrice sur la substances P
  • Intérêt pour la composante neuropathique

Résultats d'une étude étude rétrospective de 15 patients :

  • 5 échecs immédiats puis 10 à 1 an

Peu efficace en monothérapie, en association à la morphine :

  • 20% d'efficacité durable par action synergique

Effets secondaires : sédation et hypotension

Baclofène

  • Agoniste des récepteurs GABA β
  • Très utilisée dans la spasticité
  • Effet sur les douleurs neuropathiques 
  • Pas d'étude en cancérologie 
  • Difficulté d'utilisation avec d'autres traitements 
  • Sevrage

Résultats de thérapie intrathécale

  • Étude randomisée multicentrique avec 200 patients.
  • Comparaison IT VS traitement médical :
  • Amélioration de la qualité de vie
  • Réduction significative de la fatigue 
  • Amélioration du sommeil
  • Réduction de la toxicité médicamenteuse

Augmentation de la survie à 6 mois

  • 53 % IT vs 32% traitement médical 

Une méta-analyse de 29 études avec 1355 patients a montré un gain de douleur d'au moins 4 points sur 10 et cet effet persiste au fil du temps.

Cancer du pancréas

Le patient devrait être mis au courant de l’intrathécal le plus tôt possible car ce sont des patients qui ont très vite des douleurs sévères et qui persistent jusqu’à leur décès.

Selon où le cathéter est positionné, cela ne fonctionne pas. Il faut bien le positionner.

Les douleurs de la face

86 % des patients avec des tumeurs ORL présentent des douleurs.

40 à 56% des douleurs sont neuropathiques. 

Les solutions envisageables :

  • ICV
  • Intrathécale
  • Abord C1C2
  • Lombaire en montant le cathéter 

Analgésie intracérébroventriculaire :

Il est possible de faire des mélanges avec la morphine.

La thérapie intrathécale a tout de même des limites. Il se peut que les douleurs évoluent et que cette thérapie ne suffit plus. Il existe dans ce cas là d'autres techniques interventionnelles. Il s'agit toujours d'une prise en charge pluridisciplinaire avec possiblement des douleurs combinées qui sont associées.

Techniques interventionnelles

  • Radiologie 
  • Alcoolisations
  • Radiofréquence
  • Cimentoplasties
  • Radiothérapie 
  • Métaboliques
  • Ciblées 
  • Chirurgie 
  • Stabilisation 
  • Décompression 
  • Neurochirurgie

Douleurs séquellaires

Cas d'une patiente de 77 ans avec antécédents de cancer du canal avec stomie définitive en 2015, en rémission. Elle avait des séquelles de la radiothérapie avec une rectite radique et une cystite radique. Elle était intolérante à l’oxycodone, durogesic, skenan. Échec des traitements cymbalta, lyrics, neurontin et échec du caisson hyperbare.

Elle présentait des douleurs neuropathiques à type brûlure, décharges, sensation de démangeaisons, corps étranger intra rectale.

Solution proposée :

  • Pose d'une pompe intrathécale en janvier 2020 avec Kt en D10, Naropeine 4mg/j et Morphine 0.5mg/j.

Résultats :

  • Soulagée à 100%, elle disait “J'ai oublié d'avoir mal depuis la dernière fois”.
  • Au bout de 3 ans disparitions des douleurs 
    • Réduction des doses de Naropéine jusqu'à l'arrêt
    • Maintien morphine 0.5mg/j

Actuellement en sevrage de la morphine en cours et discussion de l'ablation de la pompe et faire une stomie pour la cystite radique.

Conclusion

  • Prise en charge des douleurs réfractaires de cancer est une mission de santé publique.
  • Intrathécal est très efficace.
  • Il faut y penser suffisamment tôt
  • Ne pas méconnaître les techniques complémentaires, ce n'est pas une compétition.

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Fiche créée par Julia F. Mise à jour le 11-04-2025